Xavier PROPHETTE

par Christian MILLE
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Cher Xavier

Je suppose qu’on ne me tiendra pas rigueur de m’adresser encore directement à toi comme si tu étais en capacité de me répondre, de prolonger ainsi le dialogue que nous avions amorcé lors de la sympathique manifestation que tu avais organisé à l’occasion de ton départ en retraite il y a 18 mois. Chacun comprendra ici que je ne suis pas encore prêt à accepter ta disparition si brutale et je sais que je ne suis pas le seul dans ce cas.

Je me souviens très bien de nos premières rencontres au CMP d’Etouvie, de ton arrivée dans une équipe très restreinte peu avant l’ouverture de l’hôpital de jour la Marelle dont tu as été le premier psychologue. Tu avais acquis une certaine expérience institutionnelle en travaillant quelque temps à l’IME H Dunant et une expérience du secteur au CMP de Friville-Escarbotin.

Tu t’es donc installé dans ce petit bureau du rez-de-chaussée du 18 Bd Carnot. Cette pièce pas très confortable est devenue au fil des années un lieu repéré et d’une grande importance symbolique tant pour les enfants qui voulaient te parler, que pour les parents que tu rencontrais régulièrement que pour les soignants qui venaient s’y ressourcer. Je tiens à témoigner devant ta famille et tes amis réunis pour te rendre un dernier hommage que tu n’avais pas ton pareil pour mettre au service de l’institution ton appareil à penser l’impensable, à formuler l’indicible, à reconnaître, contenir, transformer les émotions qui ne manquent pas de circuler dans un hôpital de jour pour enfants. Nous sommes ici nombreux à garder un souvenir admiratif de tes belles observations où ta finesse clinique rivalisait avec la subtilité de tes articulations théoriques, mais « comme çà », l’air de rien, en passant, sous le couvert du bon sens, sur le ton de la conversation. Tu ne jargonnais pas, tu ne te grisais pas de mots savants, mais tu savais toujours trouver le mot juste. Tu as su ainsi mettre au service de cette unité tout aussi bien tes fonctions phoriques, façon de dire que très souvent c’est toi qui as porté cette unité dans les moments critiques. Tu as pareillement exercé tes fonctions « sémaphoriques » pour nous sensibiliser à tout ce qui pouvait faire signe chez les enfants accueillis et de tes fonctions métaphoriques nous permettant de concevoir autrement les contraintes de fonctionnement et les messages implicites de ces enfants si difficiles à entendre.

Tu as osé expérimenter la pratique du packing si injustement décriée aujourd’hui, en faisant preuve d’un sens inouï de l’observation. Là encore je voudrais témoigner de ta capacité à valoriser les petits riens qui font la richesse de la rencontre, à susciter chez les soignants associés à ces séances le même intérêt pour les manifestations les plus discrètes, un bref regard, des ébauches de mots à décrypter, des expressions mimiques en réponse aux paroles échangées. Ceux qui ont participé avec toi à cette expérience n’oublieront pas tes observations couchées avec ta belle écriture régulière sur un petit cahier soigneusement tenu, et le talent que tu savais déployer pour mettre en valeur les principales séquences signifiantes. Il y aurait tant à dire sur la place essentielle que tu as occupée dans cette structure. Je pense naturellement aussi aux enfants très gravement touchés que tu as si remarquablement accompagnés souvent pendant plusieurs années, dont tu as facilité patiemment la reconstruction, en pariant sur leurs chances d’évolution positive, en résistant aux moments de doute et de découragement qui ne manquent pas de nous gagner dans une telle entreprise. Tu imagines sans peine Xavier, combien il a été difficile de prévenir cette équipe de ta disparition brutale. Nous nous sommes effondrés en larmes à tour de rôle après avoir été confrontés à cette terrible nouvelle. Nous nous sommes représentés la peine immense ressentie par tous ceux qui ne savaient pas encore et qu’il fallait bien mettre au courant. Se sont succédés ainsi pendant plusieurs jours des moments e souffrance extrême, puis d’échanges entre nous, d’évocations de souvenirs. Nous avons éprouvé le besoin de nous rassembler, de partager notre désarroi, mais aussi nos souvenirs, de nous accrocher à tout ce que tu nous as légué. Il y a bien sûr aussi le chagrin de l’équipe de secteur, de tes compagnons de route de Doullens. On ne saurait oublier ton investissement sans faille de cette antenne éloignée d’Amiens où tu prenais plaisir à exercer le travail de secteur dans toutes les dimensions qui le caractérisaient à tes yeux. Tu t’es engagé dans de très nombreux suivis psychothérapiques d’enfants et d’adolescents, sans négliger le travail avec les parents, les familles d’accueil, les institutions et les partenaires médico-sociaux et scolaires. Tu as grandement contribué à soutenir notre projet de CMP complet à Doullens.

Il me faut aussi parler de ton extraordinaire implication à l’ICSMP, cette association qui te doit tant. Pendant longtemps tu n’occupais sur le papier aucun poste officiel, alors que tu t’occupais de tout, ou presque. A la fois homme de l’ombre et homme orchestre, inspirateur et organisateur de nombreuses manifestations scientifiques, archiviste et témoin du passé, tu savais te préoccuper de manière infatigable du présent et du futur. Je tiens ici à rendre hommage au Xavier qui prévoyait tout dans les moindres détails, au Xavier qui s’occupait de faire circuler l’information sur les séances, installait le matériel, accueillait les participants, effectuait l’enregistrement des soirées, dédommageait les conférenciers. Il a naturellement facilité ma tâche de président en apaisant mes craintes concernant l’organisation, je savais que Xavier était là. Je pouvais oublier le programme des manifestations futures, je savais que tu serais là pour me fournir les informations à donner, je pouvais me tromper dans mes annonces, je savais que tu serais là pour rectifier mes erreurs… Il a transmis son savoir faire et ses connaissances de tous les méandres d’une telle organisation à Mehdi et Cécile qui ne sont pas trop de deux pour relever le défi consistant à prendre le relai de l’après Xavier.

Je ne saurai terminer cet hommage sans évoquer ton engagement dans les instances de l’établissement. Malgré ta modération, ton indulgence à l’égard d’autrui, tu savais au besoin défendre avec fougue et passion tes convictions, tes valeurs et ton éthique professionnelle. Il t’arrivait aussi dans les réunions d’équipe de dire ton désaccord, de marquer ton souci de préserver les fondements de la pratique soignante à chaque fois qu’ils te semblaient menacés par le poids du politico-administratif. Pour défendre les causes qui te paraissaient juste, tu pouvais ainsi dire ton désaccord, ta colère, on dirait aujourd’hui ton indignation. Tout cela Xavier pour te dire combien tu nous manques. Jean-Marc Perot me rappelait que je lui avais dit il y a quelques années déjà : « si Xavier n’existait pas, il faudrait l’inventer ». Je te dirai pour conclure, Xavier, toi qui as été un de mes compagnons de la première heure que tu as laissé en nous suffisamment de traces durables pour qu’on ait le sentiment réconfortant que tu resteras à jamais présent dans nos cœurs et nos esprits. On continuera longtemps face à une situation difficile à se poser la question de savoir ce que tu aurais dit ou fait dans une telle circonstance. Tu resteras à jamais un maître à penser le soin auprès des enfants psychotiques, un collègue exigeant et modeste servant avec enthousiasme la cause commune, un ami qui nous faisait du bien.

Merci Xavier pour tout. Sois assuré que tu demeureras toujours vivant dans nos mémoires.