La psychodrame psychanalytique

CONF. AMIENS  28mars 2019

Nous parlerons ici du psychodrame psychanalytique individuel c’est-à-dire un patient (ou deux ou trois patients) et un groupe de thérapeutes psychanalystes. En lieu et place des associations libres de la cure type, on propose au patient de mettre en scène et de jouer avec l’aide des acteurs thérapeutes, tout ce qui lui vient à l’esprit, tout peut se jouer, et doit rester du domaine du jeu. Au psychodrame l’affect est relié à la parole et au geste ce qui permet un ancrage corporel des pulsions par une dramatisation des conflits. La médiation par le jeu et la fiction créée par ce dernier diminuent le poids de la censure, lèvent certaines inhibitions et permettent d’aborder des conflits inconscients en leur donnant une figuration acceptable. Le plaisir spécifique du jeu renforce le narcissisme du sujet et sa confiance dans l’existence et la créativité du Moi. Les scènes ne sont pas seulement agies, mimées, mais parlées ; elles utilisent un langage d’action où la parole n’a pas l’intériorité, le pouvoir d’autoréflexion qui est celle du patient dans le silence de l’analyse. C’est une parole vivante qui est l’action même, mais parlée… une parole matérialisée par le jeu qui à la fois la suscite et se déploie à travers elle.

Le but du psychodrame est donc d’amener le patient via des figurations vers un véritable travail de transformation et d’intégration des excitations pour accéder à une activité représentative (ce qui est absent de la perception) qui se développera en une activité symbolisante.

Nous sommes tous confrontés dans notre pratique analytique à des sortes d’impasses où l’interprétation des résistances trouve ses limites. Nos interventions interprétatives sont sans effets, nous avons l’impression de tourner en rond, notre fonction interprétante est mise à mal. Nous avons du mal à relier la résistance à une défense contre un mouvement pulsionnel, car, probablement comme l’ont souligné de nombreux auteurs, ce sont des moments où nous repérons que l’organisation topique est peu ou mal structurée, qu’il existe : « des remémorations amnésiques hors champ des mémoires conscientes et inconscientes » (Green)

En 1971 Winnicott, dans son livre jeu et réalité, au chapitre 5 donne l’exemple d’une interprétation donnée à un patient qui est atteint d’un clivage et qui va permettre à ce patient de détacher un noyau d’identité féminine délirante du reste de l’identité masculine. Winnicott énoncera qu’il faut attendre avant de pouvoir interpréter en termes de projection. Voici l’intervention en trois temps de Winnicott :

« Je suis train d’écouter une fille. Je sais parfaitement que vous êtes un homme, mais c’est une fille que j’écoute, et c’est à une fille que je parle (…) puis : « si je me mettais à parler de cette fille à quelqu’un, on me prendrait pour un fou » enfin « il ne s’agissait pas de vous qui en parliez à quelqu’un. C’est moi qui vois la fille et entends une fille parler alors qu’en réalité, c’est un homme qui est sur mon divan. S’il y a quelqu’un de fou, c’est moi »,

Cette intervention a eu un effet résolutoire qui a été exprimé par le patient ce dernier en effet dit : « qu’il se sentait maintenant sain d’esprit dans un environnement fou ».

Jean José Baranes fait le commentaire suivant : « on voit donc que Winnicott fonde son interprétation sur une construction portant, non pas sur la conflictualité interne de son patient, mais sur les contenus de l’inconscient maternel, ou parental qui aurait dénié la réalité de l’identité sexuelle du patient. C’est donc une intervention qui porte sur la relation dedans dehors et plus précisément ce qui n’a pu se symboliser en fantasme singulier.

Dans cette idée la construction n’est pas reconstruction de l’histoire oubliée comme l’envisageait Freud, mais construction de l’espace et du sujet dans le site analytique (S. Videman, JJBaranes). Elle renvoie à une transformation symbolique des éléments d’expériences et d’émotions non élaborées, qui acquiert un sens et des significations entièrement nouveaux tout au long du parcours du travail psychanalytique, sans avoir la prétention ni le souci d’une correspondance ponctuelle avec des événements spécifiques de l’histoire du sujet.

Plutôt que de parler d’interprétation, nous pensons qu’au psychodrame il s’agit d’un véritable processus interprétatif. Le jeu renvoie à une véritable construction interprétative, qui se co – construit dans le hic et nunc de la scène se situant au niveau des processus et des symbolisations primaires : figuration, condensation, déplacement. L’interprétation énoncée par le meneur de jeu se situe au niveau des processus et des symbolisations secondaires : véritable tissage des représentations les unes avec les autres et traduisibles dans le discours et dans le langage verbal.

De l’intérêt du psychodrame analytique.

Pour qu’une différenciation psychique puisse s’engager, pour qu’une séparation devienne imaginable entre le sujet et ses objets d’amour originaires : « Il faut donc passer par d’autres registres que ceux de la symbolisation secondaire, comme le souligne JJ Baranes. L’affect, le corps, la perception, la sensorialité, ces exclus de principe par le dispositif de la cure classique non pas pour les évacuer, mais pour en permettre la reprise langagière par le sujet, deviennent alors le point d’appui pour tenter de redonner à nos patients une enveloppe psychique et un accès à ces excitations mal pulsionnalisées et volontiers clivées. Il faut en quelque sorte dramatiser ces registres archaïques de la souffrance narcissique qui débordent ou échappent au champ du langage verbal. Ces registres archaïques ne sont pas du refoulé et des représentations de mots, mais des traces mnésiques et des représentations de choses, du matériau psychique dénié clivé ou faisant irruption sous une forme insuffisamment déplacée décondensée dans le langage. »

Le psychodrame, loin de renoncer à la mise en jeu d’un processus analytique, invente au contraire une solution originale à une difficulté majeure du dispositif analytique, lorsque pour des motifs tenant à l’organisation psychique du patient, le psychanalyste se trouve lui-même menacé de devoir renoncer à sa fonction interprétante. C’est une technique utilisant le jeu et sa dramatisation aux fins d’élucidation des phénomènes inconscients. La fiction du jeu est une invite à une activité symbolisante où sont sollicités le corps, le geste, la sensorialité, la perception et les affects. La fonction interprétative du jeu est au premier plan et repose sur l’analyse du transfert et des résistances.

À qui s’adresse le psychodrame ?

L’instrument essentiel de toute psychothérapie analytique et de toute psychanalyse est la parole, ses hésitations, ses tâtonnements, ses failles en particulier les lapsus ainsi que les ruptures de silence. Pour certains patients, cette parole est défaillante, ils ne disposent pas de la polysémie du langage : un chat est un chat et rien d’autre.Ceux pour qui une chose est une chose et sa représentation la chose même. Autrement dit, le jeu des représentations apparaît pauvre, figé et les fantasmes qui en sont la source nécessaire semblent eux-mêmes gelés apparemment inaccessibles autrement que par des symptômes somatiques ou comportementaux.

René Roussillon en 2005 dans un article de la revue française de psychanalyse : « un divan en latence “évoque le cas de ces patients qui après une longue analyse vont demander un face-à-face et associent sans regarder l’analyste, comme coupé de sa présence au point de ne plus sembler attendre grand-chose de lui. L’auteur note que cette forme d’association lui donne singulièrement l’impression de ‘tourner en rond’ et même de ‘tourner à vide. » Tout se passe comme si l’association libre devenait un système de défenses autistiques. Dans ces cas, l’interprétation classique des résistances trouve ses limites, la résistance étant difficile à relier à une défense contre un mouvement pulsionnel du fait d’une organisation topique très mal structurée.

Il s’agit de patients qui ont traversé durant leur première enfance de véritables expériences de détresse psychique, expérience vécue non vécue ou, plus précisément, non — inscrites psychiquement en tant que représentation de… ceci a pour effet la mise en place d’un système défensif hyper organisé contre toute intrusion, interne ou externe, ce qui dénote déjà la vulnérabilité du narcissisme et des frontières entre dedans et dehors.

Ces patients ont donc une grande difficulté à contenir leurs mouvements pulsionnels et Catherine Chabert souligne le caractère massif et excessif des mécanismes de condensation qui finissent par emboliser le système de représentation : il y a comme une surcharge aussi bien du côté des angoisses dépressives, de la peur de perdre l’amour, et du côté de l’Œdipe dont les formes s’avèrent peu structurantes et échouent dans leurs tentatives pour traiter de l’ambivalence pulsionnelle.

Au psychodrame les patients que nous recevons ne supportent pas l’intensité d’investissement de ce qui pourrait devenir un transfert, au sens psychanalytique du terme, c’est-à-dire transfert de désir infantile sur une situation actuelle qui viserait le meneur de jeu support principal du transfert. En effet, le mécanisme de condensation par son excès massif ne favorise pas le déplacement, or dans tout traitement analytique le déplacement s’incarne dans le transfert, c’est bien ce que le mot veut dire. Plus les objets sont lourds plus ils sont difficiles à déplacer et en même temps les difficultés de déplacement renforcent la condensation et l’immobilisme. Ce sont des patients qui risquent d’entendre l’interprétation comme émanant elle-même de la figure transférentielle sans que celle-ci soit vraiment différenciée des imagos internes, du fait du peu de déplacement. Toute intervention de l’analyste peut donc être vécue comme un reproche peut, une moquerie, une tentative de séduction ou l’expression d’un rejet, etc. ceci peut acculer le psychanalyste au silence, mais alors il est vécu comme persécuteur si le patient interprète ce silence comme un abandon.

Ferenczi, à qui l’on confiait ce type de patients, face à l’ampleur de la régression, de ses alternances de fusion et de haine à l’égard de soi et de l’autre… atteignant pour la première fois ces zones où le symbolique n’a plus cours, ou dire et faire se voient désormais télescoper en un seul et même mode d’expression n’a pu les entendre qu’au pied de la lettre. C’est là que réside la faille : le patient est réellement un enfant, et ce que ce dernier exprime des attaques de l’objet à son égard est donc réellement advenu. Ceci amène Ferenczi à la seule attitude possible : vouloir réparer son patient.

Nous voyons ici, l’intérêt du psychodrame permettant l’abord de ces patients si difficiles. La dimension du « comme si » que soutient le jeu : le patient peut jouer à l’enfant abusé ou au parent maltraitant ; la diffraction du transfert, la fonction tiers du groupe et celle par excitante du meneur de jeu, etc. tout ce qui permet de ne pas se retrouver « épinglé » dans une position maternelle archaïque. Le fait que le transfert va pouvoir se diffracter sur les différents acteurs et sur le meneur de jeu va permettre de favoriser le dégagement et de faciliter les déplacements.

Ferenczi, en 1921 dans un article, appelé prolongement de la technique active en psychanalyse, avait proposé à une patiente jeune musicienne ayant un trac épouvantable qui entravait gravement sa pratique musicale de se lever du divan au cours d’une séance et d’exécuter une chanson exactement comme elle l’avait vu exécutée par sa sœur et ceci, afin de mobiliser l’affect là où il y avait un récit désaffecté.

Abordons maintenant ce qu’il en est du psychodrame.

Nadine Amar:  “Tout d’abord le psychodrame fonctionne avant tout comme facteur d’excitation. Il véhicule par lui-même une certaine violence ; on peut donc en déduire qu’il est d’essence traumatique… Il peut paraître paradoxal de parler de cet aspect traumatique, alors que nous avons si souvent rappelé combien le jeu par la dramatisation qu’il produit sert à dédramatiser, c’est-à-dire à réduire la quantité d’excitation. Nous nous trouvons donc dans un mince intervalle entre le trop et le trop peu. La marge de manœuvre est réduite si nous considérons que la visée idéale est celle d’un micro traumatisme actif, facteur d’éveil qui fonctionnerait dans les deux sens aussi bien pour les thérapeutes que pour leurs patients”.

Nous retrouvons là les deux versants du traumatisme l’un positif et structurant et l’autre négatif et désorganisateur de la psyché. Le traumatisme à petite dose est celui que nous rencontrons dans les différents événements de notre vie, diverses épreuves en quelque sorte il permet une réponse adaptative au choc et dans ce sens il renforce le Moi qui s’adapte en devenant son allié et provoque un ébranlement mutatif et non une pénétration effractive violente et désorganisatrice. Le psychodrame peut entrer en résonance, raviver des chocs anciens et les actualiser pour en permettre un possible travail de perlaboration. Dans ce sens et ceci me semble tout à fait important c’est un véritable facteur de changement, nous pourrions dire avec Nadine Amar qu’il n’y a pas d’évolution sans choc nécessaire. Nous sommes proches de l’idée de l’angoisse signale comme ayant une fonction protectrice et organisatrice.

 

Les registres interprétatifs au psychodrame.

1) Première modalité : la mise en scène.

Le fait d’indiquer plus ou moins explicitement que « la première idée est la bonne » et d’ouvrir le pari « qu’on peut tout jouer » laisse déjà supposer une interprétation préalable à la survenue du matériel : l’hypothèse que la pensée, le dire dans son aspect manifeste, contient une part de latent, aménage déplace ou contre-investit un scénario de désir. »

Donnons un exemple.. Le patient que nous appellerons Gaspard arrive très tendu et dit « je suis impuissant ». Il annonce comme il le fait depuis longtemps, le thème du jour. C’est la première fois qu’il évoque cela en clair, de façon à la fois agressive et désespérée. Le meneur de jeu sent la situation comme délicate. Il pense qu’il serait fâcheux de la méconnaître, de banaliser de la traiter sur un mode qu’il pourrait sentir dérisoire.

Dans un premier temps le meneur de jeu pourrait recourir à un procédé classique, celui d’une scène où le patient en parlerait avec quelqu’un, mais il a le sentiment que ce serait une esquive, qu’à passer trop vite sur le plan de la parole, au plan d’une raison discursive le patient pourrait penser : « des mots, des mots, rien que des mots, du vent où est ma souffrance ? » L’idée lui vient de lui suggérer un dialogue avec un prêtre qui a fait vœu de chasteté. Le patient acquiesce et joue cette scène. En suggérant cette scène, le meneur de jeu avance déjà une interprétation : la frustration sexuelle peut être imposée, subie ; mais elle peut être aussi choisie. Que peut-on imaginer du dialogue entre ces deux positions, avec en arrière-plan le couple passivité activité ? C’est bien ainsi que l’entend le collègue choisi pour jouer le rôle du prêtre et c’est ainsi qu’il conduit la scène.

Comme vous le voyez, l’acteur interprète dans les deux sens du terme : il interprète au sens habituel du terme en faisant vivre sur scène le prêtre dont il donne chair et consistance, et la manière dont il joue a une visée interprétative afin de permettre au patient une perspective éclairante sur ses processus internes.

2) Deuxième modalité : la détermination des protagonistes de la scène

Poursuivons avec notre exemple Gaspard. Si le meneur de jeu avait eu recours à la scène classique : « vous en parlez avec quelqu’un » cela aurait été avec qui ? Il est bien clair qu’avec un ami ou un psychologue amorce une autre voie interprétative que ce soit le choix du patient ou du meneur de jeu et que la réponse potentielle serait encore différente si c’était avec le couple parental ou avec un des deux parents.

3) Troisième modalité : la distribution des rôles et du choix des acteurs,

Par principe il faut toujours laisser l’initiative au patient. Par exemple Gaspard demandait répétitivement de jouer la scène de rencontre avec une femme et désignait toujours la même thérapeute. Le meneur dit oui, mais pas Madame X… c’est là sûrement une infraction à la règle ordinaire du libre choix du patient, mais ceci a en occurrence valeur d’interprétation.

4) Quatrième modalité : la possibilité d’envoyer en cours de scène un nouveau personnage.

Par exemple dans une scène banale où un patient rencontre une collègue de travail au restaurant on peut envoyer un acteur prenant le rôle de serveur et suggérant du champagne ou alors la possibilité d’avoir une chambre dans l’hôtel au-dessus ou de dire qu’il ne reste que deux chambres une avec un grand lit et une autre avec un petit lit d’enfant, là aussi la gamme d’interventions est infinie, mais elles ont toutes valeurs d’interprétation.

 

5) Cinquième modalité : le jeu scénique lui-même : Le jeu à valeur interprétative.

Très souvent le patient évoque un thème comme le récit d’un événement, ce n’est que bien plus tard qu’il pourra le présenter comme source d’une question personnelle. Prenons l’exemple suivant : le patient choisit de jouer une scène au restaurant où la serveuse apporte un plat infect le jeu n’a pas à désigner : « la serveuse c’est votre mère » ou « le client que vous jouez c’est vous, envieux ou victime d’une mère insuffisamment bonne », le jeu va lui permettre de progressivement faire des liens et de comprendre que s’il choisit ce scénario dont il est l’auteur il est peut-être en train de reproduire le drame de la répétition de son impasse, dans le sentiment que son existence est incompatible avec celle des autres. La logique des configurations relationnelles qu’elles expriment ou provoquent avec les affects qui y sont liés va se préciser d’une scène à l’autre.

« Ce que tente l’approche du jeu a valeur interprétative, c’est de jouer avec l’interprétation que le patient souhaite donner de son histoire, de ce qui le concerne, celle où il se construit son monde. Nous nous adressons à la capacité de nos patients d’y accueillir un sens, une réflexion, une interprétation potentielle de leurs propres interprétations qui ne prend effet que par la saisie qui peut alors advenir dans la psyché des ressorts de sa production. Autrement dit le psychodrame va offrir une polysémie du thème proposé par le patient et le faire participer activement dans le jeu, avec sa manière de jouer et va lui permettre un retour sur les déterminations de son énonciation.

Les différentes techniques de jeu ne sont là que comme un moyen favorisant la découverte par le patient de son monde interne afin de l’aider à reconnaître sa vie psychique. Les scènes ne sont pas seulement agies, mimées, mais parlées. C’est une parole vivante qui est l’action même. L’interprétation va progressivement se construire et prendre corps elle ne sera donc pas réduite à un savoir intellectualisé. À revivre les scènes traumatiques, on les dédramatise par l’intériorisation des conflits ce qui permet un travail de subjectivation. Les thérapeutes acteurs sont amenés, ne connaissant pas bien sur la réalité des événements à en donner leur propre interprétation à partir de ce qu’ils supposent des conflits internes du patient. Ils en donnent donc des figurations qui vont susciter des représentations et cela va favoriser tout un travail de métabolisation, c’est-à-dire inciter au travail de la symbolisation.

Il s’agit de faire du représentable là où il existe de véritables carences représentatives où sont sollicités le langage du corps et de l’acte et donc les symbolisations primaires qui précèdent l’apparition du langage verbal. Comme le dit Évelyne Kestemberg : « l’objectif du psychodrame est bien d’induire un véritable processus psychanalytique qui permet au fonctionnement mental de se représenter, en donnant une figuration acceptable au conflit interne grâce à l’étayage externe de la scène jouée ».

Le jeu prend alors une dimension interprétative dans le sens ou la question      n’est plus de savoir si cela s’est passé dans la réalité de cette manière ou pas, mais comment le patient peut s’en saisir comme une représentation de sa réalité psychique, réalité psychique qui émerge de tout un ensemble de traces mnésiques d’expériences plus ou moins opaques. Le jeu à valeur interprétative n’est pas une traduction simultanée du manifeste en latent mais il est création de métaphores. En effet le patient découvre l’effet de ce qu’il communique par la reprise des acteurs qui vont en quelque sorte le métaboliser et cela va permettre de donner une pluralité de sens une véritable construction interprétative.

6) Sixième modalité : l’interprétation par la scansion.

– Le meneur de jeu peut interrompre la scène lorsque le patient a un mouvement d’insight. Dans ce cas, cela confirme narcissiquement ce que le patient a perçu de lui-même, de son fonctionnement psychique à partir du jeu.

– La scansion peut aussi intervenir lorsque l’on note une contradiction manifeste entre les gestes du patient et ses paroles. En pointant ses contradictions, le meneur de jeu dévoile un aspect du conflit psychique entre le désir inconscient et les résistances qui lui sont opposées.

– On peut aussi interrompre une scène lorsqu’elle est infiltrée par un mouvement répétitif sans aucun affect ou bien prise dans un mouvement défensif d’intellectualisation.

– Lorsqu’il y a confusion des rôles par exemple, qu’un acteur se trompe que la scène n’est visiblement pas adaptée à la situation ou que la scène devient confuse très souvent cela signifie une difficulté à mettre en place la différence des sexes, des générations, des vivants et des morts, l’indication d’une incestualité agie dont il convient de prendre acte en interrompant la scène.

– Le rire qui survient à l’occasion d’une scène a valeur de scansion, on rit beaucoup au psychodrame. Le rire a de multiples significations, selon le contexte li peut traduire un insight, une défense contre une pulsion, une excitation non liée, une défense maniaque, etc… La résolution de la tension par le rire et l’élaboration qui lui succède permet l’économie de la défense à laquelle on se préparait.. L’humour et très souvent présent et permet de dédramatiser ce qui est en jeu. Cela évite par la caricature et le rire de blesser le patient. Le jeu à l’instar du mot d’esprit, permet de transgresser les usages et de présenter comme plaisante une situation dramatique. Comme le rappelle Jean-Luc Donnet il n’y a pas d’humour sans second degré et donc sans processus symbolisant. L’humour a une fonction par excitante qui protège vis-à-vis d’une excitation interne susceptible de déborder le sujet.

Septième modalité : la discussion avec le meneur de jeu entre les scènes

Lorsque le meneur de jeu interrompt la scène, le patient va donc se centrer sur ce dernier, figure centrale du transfert. Il a une place bien particulière garant du cadre et assumant la fonction interprétative, il reste en dehors du jeu et à tout moment peut l’interrompre ce qui le met ainsi à l’abri de l’excitation pulsionnelle du jeu.. Les effets de la surexcitation psychique amenée par le jeu pourront être repris par une activité secondarisée lors de l’échange entre le meneur de jeu et le patient après la scène. « Ce changement de rythme jeu non-jeu, imposé par la scansion permet aux patients de reprendre par la pensée l’ensemble de ce qui était joué sous une forme à la fois figurée et ressentie affectivement. »(Gabriel Mitrani)

Il y a interruption de la scène, mais pas interruption de la séance ainsi, au sein d’une séance de psychodrame, ces changements de rythme stimulent l’activité psychique du patient : passage du processus primaire pendant le jeu au processus secondaire à sa reprise, relance associative et reprise ; nous pourrions dire en interne avec le meneur de jeu de ce qui s’était déplié en externe avec les acteurs.

Certaines scènes ouvriront plutôt sur un travail de liaison. Le meneur de jeu fera le lien d’une scène à l’autre à partir d’un geste, d’une intonation de voix, d’une répétition… comme dans une cure le patient pourra s’en saisir pour associer, le rejeter proposer d’autres liaisons, etc.

En général l’interprétation de transfert se fera plutôt par l’envoi d’un acteur durant une scène représentant le meneur de jeu. Cela protège le narcissisme du patient d’une rencontre trop brutale avec l’objet du transfert qui peut être traumatique, du fait du peu de déplacement. Il peut arriver néanmoins qu’elle puisse se faire après une scène, mais toujours avec prudence, car rappelons que les indications de psychodrame s’adressent à des patients dont les angoisses d’abandon, d’empiètement les amènent à avoir des difficultés à organiser une névrose transfert.

Enfin on peut interpréter ce qui ne se joue jamais. L’idéal est d’amener le patient à ce qu’il puisse formuler lui-même ses interprétations, car comme le rappelle Isaac Salem : « toute interprétation juste apporte à la fois un plaisir lié au gain narcissique de se sentir entendu, mais également un déplaisir de n’avoir pu trouver tout seul cette interprétation. »

Lorsqu’il s’agit d’un petit groupe de patients, on peut adresser une interprétation groupale soit aux patients, soit au groupe de patients, soit à l’ensemble du groupe patients thérapeutes. Nous n’aurons pas le temps d’aborder la question du groupal, mais, disons très succinctement que c’est lorsqu’il y a besoin de recréer une enveloppe groupale, lorsqu’il y attaque du cadre, lorsqu’il y a des mouvements dans le groupe des co thérapeutes : arrivée, départ absence…

8) Huitième modalité : l’analyse de l’inter transfert et du contre-transfert une interprétation après coup

Gérard Bayle : « en tant qu’acteur nous recevons des charges le plus souvent par identification projective. Il nous appartient de faire quelque chose c’est-à-dire de faire appel à notre capacité de rêverie visant à instaurer une identification hystérique là où régnait l’identification projective. Mais tout se complique lorsque ce qui est transmis est de l’ordre du négatif absolu, non pas du vide de représentations ou de figurations, mais de l’ordre du chaos ».

Il est donc important que le groupe de thérapeutes fonctionne suffisamment bien, qu’il y ait suffisamment de confiance entre les uns et les autres pour que nous puissions ensemble parler de nos différentes perceptions, pouvoir être dans un conflit productif qui bien souvent n’est que la reproduction par identification projective du clivage du patient. En effet nous travaillons avec notre préconscient et nous sommes tous dans l’exposition des uns des autres de notre propre fonctionnement psychique. Ce travail d’inter transfert est important, car il aura une influence sur la manière dont les acteurs pourront interpréter les scènes suivantes. Un phénomène que nous constatons très souvent est le refoulement massif des scènes jouées lors des séances précédentes, refoulement partagé par l’ensemble du groupe, mais qui nous semble tout à fait intéressant pour préserver une certaine capacité d’improvisation et de fraîcheur lors des scènes.

 

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